Article plein air d'ailleurs

photos Patrick Reader

L’ÉDEN GLACÉ DU GRAND NORD

AILLEURS / ARCTIQUE

Publié le 1 décembre 2012, par Patrick Reader

L’AVENTURIER POLAIRE PATRICK READER NOUS TRANSPORTE AU CŒUR DE L’IMMENSITÉ INFINIE DE L’OCÉAN ARCTIQUE AFIN DE DÉCOUVRIR SON SUPERBE MILIEU SAUVAGE, SES PAYSAGES DE GLACES SPECTACULAIRES, CES OURS BLANCS QUI NAGENT DÉSESPÉRÉMENT À LA QUÊTE D’UNE AIRE DE REPOS GLACÉE OU CES MORSES QUI SE PRÉLASSENT SOUS LE SOLEIL DE MINUIT. COCKTAIL D’ÉMOTIONS À TRAVERS LES YEUX D’UN PASSIONNÉ QUI NOUS LIVRE SON PARCOURS ET NOUS INTERPELLE SUR LE RÔLE QUOTIDIEN ESSENTIEL QUE CHACUN DE NOUS PEUT JOUER QUANT À LA PRÉSERVATION ET AU DEVENIR DU GRAND NORD.

 

+ À LIRE AUSSI EN EXCLISIVITÉ WEB: ENTRETIEN AVEC PATRICK READER

SPLENDEURS ET LIBERTÉS 

Des heures durant, le silence de l’océan Arctique peut s’imposer en maître. Rien ne semble pouvoir troubler l’atmosphère jusqu’à l’horizon. À chacun de mes périples aux hautes latitudes, je suis resté subjugué par l’immensité des étendues et par la quiétude des lieux. Me voilà à contempler chaque jour les lumières changeantes de l’hyperborée. Tous mes sens se mettent alors au diapason du chef d’orchestre de l’océan Arctique. J’accompagne ainsi du regard ces délicieuses assiettes de glaces qui, tout comme moi, voyagent et défilent au gré des courants et vents marins polaires. Au loin la banquise gronde et perturbe sournoisement le calme ambiant. Les glaces chantent et dansent, disent poétiquement les Inuits! Quel répertoire, quelles vibrations harmoniques! Ces partitions de turquoise, de bleu électrique, d’Azul Maya, de vanille et d’orange imposent leur cadence à l’aventure! Au beau milieu de ce décor idyllique, j’entr’aperçois le dos d’une baleine géante qui me salue et qui plonge dans les profondeurs du Grand Bleu glacé. Quelle véritable source de recueillement et d’inspiration. Bienvenue dans cet Éden aux mille et une libertés.

RÉVÉLATION, PASSION, SENSIBILISATION

C’est à l’occasion d’une randonnée de plusieurs jours dans la toundra de l’archipel norvégien du Svalbard que j’ai découvert durant l’été 2003 cette fascination pour cette contrée lointaine. Je compris que le Septentrion m’apporterait cette zénitude tant appréciée par l’homo urbanus que je suis! J’y suis retourné avec un tel plaisir. Une grande partie est inaccessible car définie comme réserve naturelle. Tant mieux pour sa faune et ses quelques centaines d’ours blancs qui y vivent. Dès le mois de mai, il est la terre d’accueil d’un étonnant rendez-vous annuel de la biodiversité ornithologique. Un rassemblement unique où de nombreux oiseaux viennent de loin fêter le grand Amour. La succession des montagnes en forme de locomotive et des fronts glaciers qui vêlent caractérisent la magnificence des lieux.

LE SÉISME DU GRAND BLEU GLACÉ

En 2003, l’espace boréal ne faisait pas encore la une des journaux. Aujourd’hui, on en parle bien davantage en raison de l’inquiétante fonte de sa banquise, des conséquences sur son milieu sauvage, de la modification de l’habitat des Inuits et de la mise à mal de leurs coutumes séculaires. Il joue, en tant que pouvoir réfléchissant du soleil, un rôle vital dans la régulation mondiale du climat. Sa fonte nous concerne tous plus que jamais!

Depuis plusieurs années, la surface du pack arctique fond durant l’été boréal beaucoup plus vite qu’autrefois. Les images satellites le confirment. Les dunes de glaces qui la composent sont nettement moins compactes. Je l’ai vu de mes propres yeux durant l’été 2009, lors de la traversée à la voile en tant qu’équipier du légendaire et redouté passage du Nord-Ouest.

Cette expédition de plus de 6000km fut pour moi une expérience unique en son genre. Le 15m en acier longea les rivages de l’Alaska et le dédale d’îles qui compose les archipels éloignés du Grand Nord canadien. Son tapis de glace subit ainsi à vue d’œil une sacrée cure d’amincissement. Il devient une peau de chagrin qui suinte malgré elle et qui provoque des fragmentations de glaces à profusion. C’est là que reposent le danger et la complexité d’une expédition à la voile. Là-haut en mer, j’ai appris que la sagesse était de mise. Les maîtres mots sont «concentration et vigilance» pour se faufiler dans ce labyrinthe d’eau et de sculptures gelées!

Nous flirtons constamment avec le péril blanc! Le brouillard épais n’aide absolument en rien. Il inflige au parcours une dimension mystérieuse, l’angoisse à tout moment du frontal glacé! Où sont-elles donc, ces crêpes de glaces abandonnées qui, en pleine dérive, peuvent surgir de nulle part? La partie d’échecs est lancée, la tactique est de mise pour slalomer, la chance aussi! Et bang! Le bruit du choc est déchirant et peut être fatal, car ne l’oublions pas, la partie immergée du champignon de glace que nous venons de toucher peut être huit fois plus imposante que celle visible à l’œil nu! Morale de l’histoire: il n’y a pas lieu de jouer aux «cowboys des mers» dans ce rodéo de glaces…! Les embûches restent nombreuses. Les hauts fonds non cartographiés y sont légions. Quid d’être emprisonné à la suite d’un embâcle automnal précipité? Et si un jour la nature polaire se rebellait et inventait des cyclones jusqu’ici inconnus, des tsunamis glacés ou des maelströms erratiques?  

L’IMPRÉVISIBLE ARCTIQUE 

La singularité de ces latitudes lointaines est l’imprévisible. Nul ne sait prévoir ce qui se cache derrière un monticule de pierres, une cabane de trappeur, une armure de glace, un voile brumeux qui hante étrangement l’atmosphère et suscite une montée d’adrénaline bien connue des voyageurs du Nord. En effet, les surprises vont ici cres-cendo. Au moment où je m’y attends le moins, voilà que surgit à quelques mètres de moi l’extraordinaire inattendu de l’Arctique. On passe alors du vide spirituel à la soudaine rencontre avec l’imposant ours polaire, le seigneur par excellence du Grand Nord. Le cœur s’emballe. L’excitation culmine. Les regards s’échangent. Quel tête-à-tête! La bête va-t-elle m’attaquer puisque je représente pour elle une proie de premier choix? Mon émoi atteint son paroxysme d’être devant cet énorme «nounours» blanc, le sacré prédateur du Royaume du Nord!

Malheureusement et de plus en plus, l’ours blanc est bloqué à terre…! Il est famélique, maigre, s’épuise et a des difficultés à remonter vers les latitudes les plus au nord vu l’absence de glaces, son terrain de prédilection et de chasse! Je me rappellerai toujours cette rencontre côtière inattendue à hauteur de l’île de Barter (Grand Nord alaskien) avec 2 ours assis sur une petite assiette de glace dérivante et complètement isolée en mer de Tchouktches, bien loin de la banquise arctique.

LE DEVENIR DE L’ESPACE BORÉAL?

Seulement, la santé du Roi de l’Arctique et celle de ses amis morses, phoques, narvals, bélugas est mise à rude épreuve: absorption de polluants divers qui agissent sur leurs défenses immunitaires, leur thyroïde, leur croissance. En fin de chaîne alimentaire, les autochtones en sont les victimes avec des risques de maladies graves comme la trichinose…  

La chasse aux hydrocarbures est bel et bien lancée depuis quelques années à un tel point que le sous-sol de la Terre Septentrionale est le nouvel Eldorado à conquérir. Serons-nous surpris qu’un jour le Nunavut abrite la nouvelle capitale mondiale du pétrole Resolute, un futur Dubaï du Nord entouré de plateformes de forage qui s’implanteraient ici et là à profusion? Dans l’affirmative, à quel prix donc? Celui de mettre en péril son écosystème déjà si fragile!

Chacun aspire pourtant à ce que l’espace boréal puisse rester l’irréversible jardin immaculé de glaces qui a toujours enflammé les cœurs et les âmes. L’étoile du Nord et ses splendeurs sauvages nous invitent à l’action, si infime soit-elle. C’est chez-soi à la maison, en famille, au sein de son entreprise ou de son mouvement de jeunesse que nous devons mener des actions pour diminuer/compenser nos émissions de CO2 et aussi davantage enseigner dans nos écoles dès le plus jeune âge (aux adultes de demain) les valeurs «du respect à l’environnement, du vivre mieux avec moins…» Une solution plus globale serait de déjà déclarer au plus vite le passage du Nord-Ouest (et Nord-Est) et in extenso tout l’océan Arctique comme patrimoine de l’Humanité où seules les activités scientifiques et pacifiques y seraient admises!   

Ainsi comme me l’a gentiment dit un sage inuit: «Je ne troquerais pour rien au monde ma vie contre la tienne.» Il ponctua: «Je suis esquimau car ici, je peux toujours voir l’éternité.» À méditer! 

http://www.arctic05.org

Volume - 10

Partagez l'article!


Derniers articles

Camp de kayak avec les épaulards - Jour 4
Camp de kayak avec les épaulards - Jour 3
Camp de kayak avec les épaulards - Jour2
Camp de kayak avec les épaulards

Recherche

Nouvelle édition »

s'inscrire à l'infolettre

Calendrier des activités