Article plein air d'ailleurs

photos Charles Brossard

PAGAYER LE GROENLAND

CARNET DE VOYAGE / TERRE VERTE

Publié le 1 décembre 2010, un voyage de Charles et Alexanne Brossard, par Diane Laberge

LE PÈRE ET LA FILLE EN RÊVAIENT: PARTIR ENSEMBLE EXPLORER LES FJORDS GLACÉS DU GROENLAND. NAVIGUER ENTRE LES BANQUISES, EXPLORER LA LANGUE DES GLACIERS, Y ENTENDRE GRONDER LES MONSTRES, LE JOUR COMME LA NUIT, ELLE POURTANT SI COURTE DANS CET HÉMISPHÈRE DU BOUT DU MONDE.

JOUR 1 – CHARLES

Tout d’abord, un vol sans pépin nous amène de Montréal vers Halifax avant de s’envoler vers Reykjavik (au sud-ouest de l’Islande) où nous arrivons au petit matin. On partira dans quelques heures direction Groenland. Première étape: Kulusuk. En attendant, on explore un peu, à pied, la capitale, une petite ville de pêcheurs peu populeuse établie en bordure de l’océan Atlantique. Des maisons aux devantures peu ornementées, d’une simplicité désarmante. Ma fille et moi, on fait rire les gens avec nos tuques et nos polars. On est déjà prêts pour le Groenland on dirait. Ici, par 15°c, les filles sont encore en petite robe d’été, les jambes nues malgré le vent pourtant toujours très présent. Une visite à l’hôtel de ville s’impose où une maquette de l’île permet d’avoir en 3D une vue aérienne de l’île, un univers volcanique présentant une variété naturelle hors du commun. Une des attractions touristiques les plus courues de la capitale est certainement son parc d’eau sulfureuse localisé dans un décor de pierre volcanique. Voilà, il est déjà midi, c’est l’heure du départ. Un petit avion – bimoteur à hélices – nous attend vers Kulusuk. C’est parti!

JOUR 2 - ALEXANNE

Dès l’atterrissage, premier coup de cœur! Kulusuk, c’est tellement mignon avec ses maisons aux couleurs vives construites sur pilotis. La nôtre ce soir sera rouge sang. Comme celui des phoques sur le quai. On est dans un village de pêcheurs et la mer est ici le gagne-pain de tous et chacun. Tous les matins, ils sont plusieurs à partir en mer pour nourrir la famille. Dès le premier jour on vivra, papa et moi, une expérience hors du commun: goûter à la chair de phoque crue, là, sur le quai, en compagnie des pêcheurs intrigués par notre témérité. C’est un peu bizarre comme goût. Très puissant. Très sauvage. Mais on aime l’expérience. Ce soir, on fait un premier tour de piste avec notre guide et les six autres «aventuriers» qui, comme nous, ont choisi cette expédition de kayak de quinze jours sur les mers gelées de l’Atlantique. Je me couche excitée. J’ai déjà hâte à demain.

JOUR 3 - CHARLES

On se lève tôt. Il fait beau. Quinze degrés environ. Un brouillard plane au-dessus de la mer. Ce sera comme ça tous les matins. Après le petit-déjeuner, on prépare tout le matériel qui nous permettra d’être en autonomie complète durant les douze prochains jours. Les kayaks tiennent dans un sac. Soixante-dix livres au total. Ce sont des kayaks pliants: une structure de bois et des parois gonflables ultra-résistantes aux glaces. *Une fois montés, on entasse à l’intérieur le matériel – sacs de couchage, tente, thermos et poêle au gaz – et la bouffe lyophilisée, une bouffe maison – riz aux fruits de mer, pâtes sauce rosée, par exemple – préparée par une dame de Montréal et ensachée sous vide. On empile les vêtements qu’on a planifiés avec soin c’est-à-dire… moins que rien. On n’apporte ici que l’essentiel. Tout ce qu’il faut, c’est rester bien au chaud. Bien au sec. Des sous-vêtements légers et un plus épais, trois paires de bas, une paire de bottes et une paire de souliers de marche, un pantalon technique, deux bons polars ainsi que tuque, mitaines et coupe-vent.

JOUR 4 - ALEXANNE

Voilà c’est parti! Tous les jours vont se ressembler: six à huit heures de kayak par jour – entre 10 et 25km – à longer la berge ou à traverser des fjords, entre les glaces. À observer la mer, le ciel, les banquises, les glaces qui se détachent par petits blocs ou souvent par immenses morceaux, les phoques, les oiseaux, les fleurs poussant dans le roc. Étrangement, le paysage n’est pas que bleu et blanc. Ce qui me frappe d’abord, ce sont les montagnes. Je m’attendais à un paysage vallonné, tout blanc. Ici, la roche côtoie les amoncellements de neige, sur les sommets et dans les parois où poussent de belles épilobes, petites fleurs mauves, emblèmes du Groenland. J’ai un faible pour les fleurs de coton, ces petites tiges garnies de ouate transparente. Je suis frappée par le silence qui règne ici. Papa et moi partageons un kayak en tandem. Ce sera plus facile pour moi puisque je n’ai aucune expérience autre que celle de pagayer sur un lac, l’été, par temps idéal bien sûr. Ici, les conditions risquent de changer et la durée de chaque expédition, j’avoue, me stresse un peu. On verra bien. Pour le moment, tout va bien.

JOUR 5 - CHARLES

Choisir son campement pour y ériger la tente le soir venu, dormir sur la berge, se préparer son seul et unique repas chaud de la journée, socialiser avec le groupe, tout cela en mode promiscuité; quelle belle définition du mot aventure! Je dois dire que j’aime bien. Jusqu’à maintenant, tout se fait simplement. Naturellement. Les deux guides connaissent le territoire. On peut se fier à eux. Ça rassure. Car l’environnement aurait de quoi intimider. Naviguer entre les glaces, avec leur mouvement perpétuel qui fait que vous ne savez pas toujours si vous allez réussir à passer ou pas, y a de quoi se sentir légèrement anxieux. Arriver à traverser le fjord nous est apparu comme un défi en soi tellement on s’y sent comme dans un labyrinthe, à toujours se demander si on retrouvera son chemin parmi tant de dédales. Et surtout, à savoir si les glaces ne vont pas finir par nous prendre au piège. Ce qui a bien failli arriver.

JOUR 6 - ALEXANNE

Moi qui croyais que tous les jours seraient les mêmes, je dois dire que je suis surprise de voir à quel point le paysage se transforme chaque jour. Tout reste de glace mais l’éclairage, la formation des nuages, les ombres et les lumières, tout est toujours en perpétuelle mutation. Papa et moi nous amusons à donner des noms aux banquises. C’est vrai qu’elles prennent souvent des formes inusitées. On peut dire ainsi qu’on a croisé un sphinx, un éléphant et beaucoup de champignons tout au long de notre parcours vers le Nord. Entourée d’adultes, je me découvre une belle capacité à discuter avec des inconnus. Il faut dire qu’une telle promiscuité favorise les rapprochements rapides. On passe vite à l’essentiel. Aux vraies choses. Ici, il n’y a pas de place pour les faux-semblants. Ce serait comme manquer de respect à la nature, elle si authentique, là tout autour. À la tombée du jour, les reflets du ciel dans l’eau ressemblent souvent à des aurores boréales. Un spectacle en soi! Surprenant aussi de voir la nuit noire ne durer que deux ou trois heures par jour. Tu t’endors, il fait clair. Tu te réveilles, il fait clair. Assez étrange comme impression.

JOUR 7 - CHARLES

Aujourd’hui, on accède par la mer à une ancienne base militaire américaine du temps de la seconde guerre mondiale. On peut malheureusement constater que les américains ont laissé ici leur empreinte. Pas très écologique disons. Des milliers de barils de pétrole rouillés composent un paysage quasi surréaliste. Il y a là quelque chose de triste et de beau à la fois. Je m’amuse à faire des photos aux allures contemporaines. Les contrastes sont saisissants. On dirait presque du land-art. Mais ces taches de couleur sombre sur tant de beauté m’attristent beaucoup. À l’heure du lunch, on s’arrête sur une plage: fromages, noix, couscous froid de légumes, jus de canneberges. Le temps est splendide et le thermomètre monte à 25°c. On enlève nos pelures d’oignon et on profite du soleil avant de retourner aux kayaks pour un autre trois heures de «route bleue». À partir de ce soir, nous dormirons deux nuits au même campement, à 1km du petit village inuit de Kuummiiut. C’est qu’on prévoit une randonnée demain. Ca fera du bien de marcher un peu. J’avoue que je m’ennuie d’un siège avec un bon dossier.

JOUR 8 ET 9 - ALEXANNE

Ce matin, on s’est rendu jusqu’à une chute où coule une eau pure et cristalline, mais froide. Tellement froide! On s’y est tous lavés à tour de rôle – ça change de la débarbouillette – et j’ai enfin pu laver mes cheveux. L’endroit est paradisiaque. Nous sommes ensuite rentrés au campement avant de partir en randonnée vers les sommets, à quelques 850m d’altitude. On a pique-niqué là, tout en haut; la vue était saisissante. Après avoir passé tant de temps sur l’eau, il fait bon de se dégourdir les jambes. J’ai peut-être exagéré un peu toutefois: 10heures de marche au total en une seule journée… Mais l’expérience en valait la peine. Je vais bien dormir ce soir c’est sûr.

JOUR 10 ET 11 - CHARLES

Monter et démonter le campement prend chaque jour des airs de fête. En fait, c’est un travail d’équipe de tous les instants. Ici, pas le temps de se lamenter. On préfère rigoler en accomplissant les tâches quotidiennes nécessaires au bon fonctionnement de l’expédition. Aujourd’hui, celle-ci nous amène tout près de ce qui pourrait ressembler à un cimetière de baleines. Des ossements de toutes tailles parsèment le rivage. Ces objets ont quelque chose de mythique. On ne peut s’empêcher de les toucher, d’en apprécier la douceur, sculptés qu’ils sont par le vent et la mer. Des baleines, nous en rencontrerons d’ailleurs quelques-unes tout au long du parcours. Des phoques, un renard arctique, des perdrix et peut-être même un cachalot. Ça, personne n’en est vraiment certain. Pas même notre guide-biologiste.

JOUR 12 ET 13 - ALEXANNE

Nous atteignons maintenant la zone du fameux glacier Rasmunssen et celui de Karale. C’est impressionnant. On navigue entre des banquises dont les hauteurs peuvent atteindre jusqu’à quatre étages de haut. Des grondements nous accompagnent, puissants comme un coup de tonnerre lorsque des morceaux immenses s’en détachent. On évite les zones d’eau plus claire, là où l’eau est plus turquoise encore, comme dans les mers du Sud. On ne s’en approche pas trop, car le glacier pourrait basculer sur nous. Ce qu’on appelle la langue du glacier, entre ses parois, a au 1km de large. On descend marcher sur les langues tout en étant conscient du danger. On surveille donc les crevasses, car elles sont nombreuses.

JOUR 14 - CHARLES

Ici, au bout du monde, on peut facilement constater à quel point les changements climatiques affectent la planète. Sur les moraines latérales du glacier, des amas de débris minéraux se sont fossilisés, rendant bien visibles les traces d’anciens glaciers, avant que le réchauffement de la planète en précipite la fonte. Saurons-nous corriger le tir? Est-il trop tard? Tant de questions sans réponse… Après tant de beauté, nous voilà revenus sur les rivages, préparant le retour vers Kulusuk. C’est en bateau que nous referons ce trajet qui prendra 2 heures et demi, le temps de faire à l’envers les 155km de kayak que nous venons de compléter. Après Kulusuk, on retourne à Reykjavik où on passe la nuit. Le lendemain, on profite des derniers instants pour découvrir les environs avant le grand vol de retour.

JOUR 15 - ALEXANNE

Voyager avec son père a des bons côtés, mais les amis de mon âge commencent sérieusement à me manquer. Malgré tout, j’ai l’impression de revenir du «voyage de ma vie». J’ai assisté à un veritable spectacle de la nature, là où la beauté est sauvage et la vie, encore si simple. Merci la vie!

Ce voyage a été réalisé avec Karavaniers du Monde, du 15 au 29 juillet 2010.

http://www.karavaniers.com

Volume - 6

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